Vers une société sans famille

Baouzi L Lhoussein
2023 / 2 / 14

Vers une société sans famille : éloge de la pluralité

« Dieu n’a pas tant créé l’homme qu’il a créé la famille » (Arendt, 1993, p. 29)
Faut-il en finir avec la famille ? est le titre du livre écrit par Raymond DEBORD présenté ce jour 10 février 2023 à l’Institut Français de Marrakech. Lors de la cérémonie de présentation, à laquelle j’ai assisté, plusieurs idées ont été échangées autour de la question de la famille. La qualité des échanges, et la clarté des visions exposées m’a incité à rédiger ma petite réflexion autour de la question posée par l’auteur dont une partie a été exposée oralement lors de ladite rencontre.
Conduire une réflexion sur la famille impose au départ à celui qui s’en charge de faire des balisages dont les étendues sont élastiques pour s’adapter à des réalités et à des faits dynamiques et en perpétuelles mutations. Il faut admettre que la question de la famille surpasse le seul cadre purement social pour embrasser d’autres champs de la pensée humaine, notamment la philosophie et la politique. En effet, en dehors de l’aspect fonctionnel de la famille, cette institution se trouve soumise à des forces et variables qui ne relèvent pas uniquement du domaine de la sociologie en dépit du consensus large autour de la famille comme lieu de socialisation.
La famille comme catégorie politique est une question d’une complexité érudite. Cette complexité a déjà été bien explicitée par Hannah Arendt, lorsqu’elle a critiqué vivement la construction des corps politiques sur la base de la structure de la famille. En effet, la ruine de la politique est à rechercher non pas dans l’appropriation du champ politique par des forces dominantes, mais au niveau de la structuration du corps politique et de son développement sur le modèle famille considéré comme support de conditionnement et de perpétuation des soumissions. En se référant toujours à Arendt, on pourrait incriminer la famille qui est l’institution de fabrication de l’homme et non pas d’un homme. Seul l’homme compte, étant décidé que les autres hommes ne sont qu’une répétition de l’homme crée à l’image d’une divinité.
D’ailleurs, aujourd’hui nous pouvons sans aucun doute remarquer que pour certains pays, la famille en tant qu’instrument de reproduction des hommes à l’image d’une frimousse soigneusement modelée est un élément d’anti-progression. En effet, au lieu que la famille contribue à la création d’un homme, elle tente disait Arendt de « créer l’homme à sa propre image ». Et on se retrouve avec des hommes sans capacité quelconque pour faire évoluer leurs conditions des hommes incapables d’interagir positivement avec leur environnement de manière critique.
Par ailleurs, et dans le même sillage d’idées, la famille a été et demeure un terrain de sacralisation largement investi par toutes les religions, notamment celles dites monothéistes. La reproduction d’une autorité pyramidale non contestable à l’image des divinités ne trouverait pas de meilleurs supports et lieux de promotion que la famille. Cette sacralisation de la famille nous semble être l’un des éléments de radicalisation des personnes, notamment lorsqu’une force politique d’aspiration hégémonique et transfrontalière s’en empare à travers des enseignements et des prêches radicaux. Ce processus de modelage pour la création d’une image qui n’a jamais existé historiquement comporte dans son essence des prémices d’une radicalisation qui en présence de facteurs catalyseurs grimpe les échelons pour embrasser le champ du terrorisme.
Un tel processus de conditionnement ne pourrait pas avoir lieu si la famille n’est pas conçue comme un lieu d’anéantissement de la pluralité. La fabrication de l’homme et non pas d’un homme jette les bases d’une structure pyramidale anti-pluralité, et ce à partir du moment que c’est l’homme créé à l’image de Dieu qui doit se charger de l’organisation des hommes. On vient à travers ce passage faire l’éloge de la mort de la politique étant donné que cette dernière repose sur un fait : la pluralité. De cela ressort que faire de la politique revient à repenser la famille où au moins à reconstruire les corps politiques sur autres supports que la famille telle qu’elle a été conçue jusqu’à nos jours.
Certes, la question de la reproduction de l’espèce doit se poser dans cette proposition de société sans famille, mais l’idée même de la reproduction est à analyser d’un point de vue pragmatique en se référant à la philosophie utilitariste (l’utilitarisme). D’autres alternatives peuvent être envisagées pour une éventuelle reproduction de l’espèce en dehors de la structure familiale, notamment avec le progrès technologique de notre temps . En effet, nous pensons que la famille en tant que support de préservation de l’espèce doit être repenser pour ne pas se retrouver encore une fois avec une institution dans laquelle ce qui est ancien prévaut et domine. Il est temps d’en finir avec la famille comme fondement de la société qui assure la structuration sociale. La famille comme structure sociale ne doit être envisagée que sous l’angle d’un espace de liberté et non un lieu fermé de reproduction des schémas prédéterminés.
Enfin, nous pensons vivement que la « fabrication » de l’individu libre capable de choisir rationnellement ne peut être atteinte tant que d’autres individus font de la famille un lieu physique pour jouer le rôle de divinités.




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