Crimes, mensonges et châtiment

Abdelaziz Lemnabhi
2011 / 3 / 27

Crimes, mensonges et châtiment.
Par : Abdelaziz Lemnabhi


Témoignage d’un ancien prisonnier et exilé politique marocain

Première partie

LES JARDINS SECRETS DE HASSAN 2




Quelques éléments autobiographiques.

Je suis né à Marrakech le 15 février1950. Le Maroc est à l’époque sous l’occupation française.
Issus d’une famille nombreuse dont ma soeur Saida, morte Suite à une grève de la faim, dans les prisons de Hassan 2 à l’âge de 25 ans, par manque de soins et par mépris de la vie humaine, en particulier la vie d’une femme communiste.
Je fais toutes mes études en langue arabe. Cela a exigé un véritable parcours de combattant, pour trouver un collège, puis un lycée, l’enseignement de l’arabe étant à l’époque minoritaire.
.Après les villes de Marrakech et de Safi, j’arrive à Rabat, où je rencontre, au lycée Mohamed V, Abdelatif Zéroual*, qui moura sous la torture à Derb Moulay Cherif à Casablanca, en Juin 1974 à l’age de 25 ans.



Mon engagement politique

Au collège Mohamed V à Marrakech, je participe à la création d’une corporation affiliée à l’U.N.E.M. (Union Nationale des Etudiants du Maroc). Cette corporation va jouer un rôle important dans les grèves et manifestations des lycéens à Marrakech, pendant l’insurrection populaire de mars 1965.
Cette insurrection, écrasée dans le sang, va provoquer une prise de conscience quant à la nature répressive, anti-démocratique et anti-populaire du pouvoir marocain ainsi qu’à sa politique sélective et réactionnaire dans le domaine de l’enseignement.
J’obtiens mon Bac en Juin1968.
En septembre 68, j’entre à l’université de Rabat pour y suivre des études de philosophie à la faculté des lettres et des sciences humaines.


De 1969 à 1972, je suis élu secrétaire général de l’U.N.E.M à la faculté des lettres. Durant cette période, plusieurs arrestations ont lieu, avec leur lot de tortures, d’humiliations, d’intimidations et de mauvais traitements (crâne rasé, douche froide, isolement, etc..).
* Saida Menebhi, Poémes-Ecris-Lettres de Prison, Ed C. L. C. R. M, Paris,
Ed Feed-Back-Rabat.
*AbdellatifZeroual

EN 1969, j’adhère au Parti communiste marocain (Parti du progrès et du socialisme (P.P.S) actuellement). Ce parti révisionniste est progressivement transformé en parti monarchiste. Je le quitte en 1970 et participe à la création du mouvement marxiste-léniniste marocain « Ilal Amam (En Avant) », qui va d’abord gagner la sympathie du mouvement étudiant marocain (M.E M), et permettre la création du Front Uni des Etudiants Progressistes Marocains (F.U.E.P) qui remportera les élections du 15ème congrès de l’U.N.E.M.

En août 1972, je suis élu président de l’U.N.E.M., au 15e Congrès national, qui clôt ses travaux deux jours après le coup d’état manqué du 16 août 1972.
Ce congrès va marquer un tournant décisif dans l’histoire du mouvement étudiant marocain et de l’U.N.E.M. Il laissera des marques indélébiles, qui vont continuer d’inspirer et d’animer ce mouvement, jusqu’a nos jours.

Ce congrès adopte une analyse objective et critique de la société marocaine. Il définit le pouvoir dominant comme un pouvoir absolu, anti-national, anti-démocratique et anti-populaire, responsable de l’oppression, de l’exploitation et du sous-développement dans notre pays. Il considère les partis politiques de l’opposition comme partis réformistes qui se sont plutôt rangés du côté du pouvoir répressif que du côté du peuple.
Le congrès appelle ce dernier à construire son parti révolutionnaire, à même de concrétiser ses aspirations à la liberté, la démocratie et au développement. Il reconnaît aussi le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Il soutient la lutte du peuple palestinien contre l’occupation sioniste, adopte un programme d’action radicale au niveau syndical et culturel et redéfinit les quatre principes fondamentaux de notre organisation, à savoir son caractère de masse, progressiste, démocratique et indépendant.


Le 2 septembre, à 9 heures du matin, je suis enlevé devant le siège de l’U.N.E.M à Rabat, par une poignée d’individus en civil. Ces derniers vont me présenter au juge d’instruction de Casablanca, qui instruit l’affaire dite des « frontistes »,(En rapport avec le front des étudiants souligné plus haut).
L’interrogatoire « préliminaire » se déroule sous forme d’accusations - « atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat », « appartenance à une organisation interdite en vue de renverser le régime monarchique et installer une république », « atteinte à l’ordre public » - et de menaces : « Tu vas voir ce qui va t’arriver ! Il t’arrivera la même chose qu’à tes amis qui sont passés devant moi et que j’ai mis tous en prison », « Je te laisse en liberté provisoire aujourd’hui, mais la prochaine fois, il va falloir s’attendre à autre chose ! ». Il refuse d’inscrire mes protestations concernant mon enlèvement, et profère des insultes à mon égard, déclarant qu’il a tout le pouvoir de l’ordonner !
C’est un juge à l’image de leur justice. Un juge à la solde de la police !

Quelques heures après mon enlèvement, Aziz Loudiy, vice-président de l’U.N.E.M, se présente au commissariat central de Rabat, accompagné de membres des comités exécutif et administratif de l’U.N.E.M, pour protester contre mon enlèvement arbitraire et demander ma relaxation immédiate. Il est reçu par le commissaire principal, Mr Mohamed Guessous, qui déclare ne pas être en mesure de les informer sur mon cas et qu’il a l’ordre (de qui et pourquoi, on ne saura jamais) d’arrêter Monsieur Loudiy, afin de le présenter au procureur du tribunal de 1ère instance de Rabat !
En août 1973, Aziz Loudiy sera jugé dans l’affaire dite des « frontistes ». Il écopera de 10 ans de prison ferme. Ultime précision : son dossier était vide !

Le 6 septembre, le même groupe de la police politique qui m’a enlevé le 2 septembre dépose au siège de l’U.N.E.M. une convocation imprécise ( ?), afin que je me présente devant le même juge, à Casablanca. Cette fois-ci, je suis accompagné de l’avocat de l’U.N.E.M., maître Farouki, décédé depuis. Le juge fait traîner l’interrogatoire dit « de fond », attendant la tombée de la nuit et que le tribunal soit vidé de son personnel et des usagers. Il quitte son bureau plusieurs fois sans raison apparente. En fait, il veut s’assurer de l’arrivée des mêmes policiers qui m’ont enlevé et présenté à lui quelques jours auparavant.
Après avoir demandé à mon avocat de rester dans son bureau pour régler quelques détails ( ?), il m’ordonne de sortir, toujours sous le coup des mêmes chefs d’inculpation assortis d’une liberté provisoire. Une liberté qui prendra fin quelques instants plus tard !
En effet, la police et le juge ont décidé de m’arrêter dans les couloirs lugubres du grand palais de justice de Casablanca pour me remettre aux mains de la sinistre police secrète du Roi.

A peine sortie du bureau de celui que les militants marxistes appellent Monsieur « La nuit », en opposition à son véritable nom qui désigne « la lumière » en arabe, la petite bande s’agite tout au long du couloir, se préparant à me kidnapper…Inutile de tergiverser : la situation me commande d’agir vite pour sauver ma peau…La présence de ma sœur Khadija et de la mère de Mr Loudyi devant le bureau du juge( elle sont venus acquérir une permission pour le visiter en prison) m’est d’une aide décisive *.
Je fonce dans les couloirs, évitant quelques agents, en bousculant d’autres, en direction de la sortie qui, elle aussi, est bien gardée, courant sans précaution aucune, le plus vite possible, plus vite encore : la chasse à l’homme a commencé… La nuit aidant, les petites ruelles de Casablanca me permettent de semer mes poursuivants, enragés et essoufflés…

Le même jour, à 20 heures, la radio et la télé marocaines diffusent un communiqué du Ministère de l’intérieur, qui annonce mon arrestation et menace les étudiants et les enseignants de graves sanctions en cas de réaction de soutien. Bien entendu, mon évasion met en échec leur projet !

Après plusieurs interventions musclées des CMI (compagnies marocaines d’intervention, l’équivalent des C.R.S en France) dans les facs et les cités universitaires, la police m’arrête le 8 janvier 1973, lors d’une assemblée générale des étudiants à la cité universitaire de Rabat Agdal. Placées sous le commandement du Directeur général de la police nationale, Driss Hassar, accompagné du commissaire divisionnaire et du commissaire principal de la police judiciaire M. Guessous, des centaines de CMI et des forces spéciales envahissent, avec leurs chiens, la cité universitaire, saccagent les locaux, pénètrent violemment dans les chambres, blessant des dizaines d’étudiantes et étudiants et en arrêtant une centaine d’autres. Nous sommes conduits au commissariat central de Rabat, sous l’escorte de ce dernier.

Trois jours de passage à tabac collectif, de mauvais traitements (privation de repas, arrosage au tuyau), de menaces et d’intimidations vont suivre. Les étudiants transforment la cave du commissariat où ils sont entassés en un lieu de protestation et de contestation. Une partie d’entre eux sera libérée. Les autres seront déférés devant un tribunal qui va les condamner à de lourdes peines.

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• Voir le livre de Khadija Menebhi : Morceaux choisis du livre de l’oppression,Ed MULTI COM.

Le 23 janvier, des grandes manifestations d’étudiants ont lieu dans plusieurs villes du Maroc, en particulier à Rabat, où les accrochages avec la police se soldent par la mort d’un policier.
Le 24 janvier, le Conseil du gouvernement, présidé par Hassan II, dissout l’U.N.E.M. et décide une stratégie criminelle de mise au pas de cette organisation et du Mouvement étudiant marocain.
La ville de Rabat est en état de siége. Pendant tout le temps que je suis resté au commissariat (2 semaines), j’entendais très tôt le matin, à travers la lucarne de ma cellule, le lavage de cerveau et le bourrage de crâne qu’exerçait le chef des compagnies d’intervention sur ces troupes avant de les lâcher pour la chasse aux étudiants à l’intérieure et autour des édifices universitaires et dans les rues .Il criait tellement fort que je distinguai tout ce qu’il disait :
-« Ils (les étudiants) sont des athées. Ils ne croient ni en Dieu ni en son prophète. Ils ne respectent pas la religion. Ils boivent de l’alcool, se droguent et ne font pas le ramadan. Ils violent nos filles dans les chambres universitaires que l’état leur a données gratuitement. Ils sont contre la monarchie .Ils sont manipulés par l’extérieur pour installer le désordre et l’anarchie. Ils veulent nous prendre notre travail et nous détestent. »
Ce discours mensonger, haineux et agressif est bien étudié pour dresser les troupes contre les étudiants pour bien les mater

Le 3 février, à 23 heures, le commissaire principal, Mohamed Guessous, me livre à « d’autres gens », selon sa propre expression. J’ai les menottes aux mains, un bandeau sur les yeux, et suis couvert d’un sac de la tête aux pieds! La police dite « officielle » va me livrer à une autre police supérieure, une police spéciale, une police spécialement secrète !

Après plus ou moins une heure de route, durant laquelle, installé sous les sièges arrière d’une voiture, je suis écrasé par les pieds de deux agents, la première étape du « voyage au bout de l’enfer » commence.


Découverte d’un des jardins secrets d’Hassan II


Devant un immeuble situé à l’intérieur d’une caserne des forces mobiles, à une centaine de mètres de la prestigieuse Ecole Mohammedia des Ingénieurs, dans le quartier chic de l’Agdal, je réalise que je vais pénétrer, pour la première fois de ma vie, à l’âge de 22 ans, dans un des jardins les plus secrets de Hassan II, commandeur des croyants, chef suprême de l’armée, de la police et des escadrilles de la mort. Ce bâtiment, surnommé « Immeuble des monstruosités » par la première vague de militants, sera par la suite connu sous le nom du « Complexe ».

La porte métallique s’ouvre sur un mélange d’odeurs d’éther, d’alcool, de produits ménagers et de moisissures. Quelques pas dans le hall, et ce sont des cris, des plaintes et des gémissements humains qui retentissent! Ces odeurs et ces gémissements ne vont jamais me quitter, tout comme tout ce qui va suivre.


Annoncée par sa brutalité et le grincement des bottes sur le sol, une horde de dépositaires des lieux, membres des compagnies mobiles d’intervention (CMI) me conduit dans ma cellule, très satisfaits d’eux-mêmes : ils ont une nouvelle prise

À 7 heures du matin, je suis réveillé par le bruit des bottes et un vacarme étudié pour terroriser! Ils pénètrent dans ma cellule, m’ordonnent de me lever, serrent mes menottes jusqu’aux os et rajoutent un deuxième bandeau. Ils m’emmènent dans un bureau où se trouvent plusieurs de leurs complices.
Par la suite, j’apprends qu’il s’agit de Mohamed Achaachi, Boubker Hassouni et Mohamed Kholti*, les trois célèbres tortionnaires de ce lieu.

- « Tu sais où tu es, Menebhi ?

- « Chez la police » ! Je réponds.


Des gifles, des coups de poings et de pieds arrivent de tous les côtés !


- « Fils de pute ! Tu ne sais pas où tu es ? Tu es entre les mains de l’armée ! »
Intérieurement, je me dis : état policier, état militaire, blanc bonnet, bonnet blanc !
- « Alors, tu vas tout nous dire. Sinon, nous broierons la religion de ta mère comme on l’a fait à d’autres plus importants que toi ! »

- « Mais je n’ai rien à vous dire ! Je suis président de l’U.N.E.M, un syndicat reconnu d’utilité publique qui agit dans la légalité… »
Leurs gifles et leurs coups vont plus vite que la parole!


- « Ici, il n’y a pas d’utilité publique…Il n’y a pas de légalité ! On te connaît bien, nous… Nous savons tout sur toi et sur tes agissements et nous voulons que tu nous dises la vérité, que tu nous dises tout ce que tu sais… »


- « Puisque vous savez tout, je n’ai donc rien à vous dire ! »


Les coups, les gifles et les insultes continuent d’arriver de toutes parts. Les menaces se précisent… « Regarde, Menebhi » me dit l’un d’eux. À l’évidence, je ne peux pas regarder avec les yeux bandés. Mais, j’ai le sentiment de connaître mes « interlocuteurs ». « Regarde, et mets toi bien ça dans ta tête : ceux qui rentrent ici n’en sortent jamais. Sauf quand ils nous disent la vérité… Alors, tu vas nous dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité… Sinon, nous allons tuer la salope de ta mère… Nous allons t’allumer et t’éteindre comme une bougie jusqu à ce que tu sois complètement fondu … Alors ? Vas-tu nous dire tous ce que tu sais sur les marxistes-léninistes, leurs noms, les lieux de réunion ? Qui se charge de la coordination entre l’UNEM et les marxistes? Allez ! Parle, religion de ta mère, sinon c’est le deuxième qui t’attend ! »
Mon silence déclenche la montée au « deuxième, à l’étage de la torture…Une montée qui me donne l’impression d’être un mouton que l’on conduit à l’abattoir ! La salle où je suis emmené est froide. Le vide et la solitude y résonnent. Elle exhale une puanteur mélangeant les produits ménagers, la transpiration, le sang et la souffrance humaine. Dans ce lieu, les tortionnaires se transforment en bêtes sauvages, en abrutis sans tête ni coeur, en monstres qui frappent et interrogent. À leurs yeux, l’individu livré n’a plus d’existence propre, aucune valeur humaine, aucune raison de continuer à vivre s’ils n’arrachent pas de lui une certaine « vérité ».Ils croient que seule la torture peut révéler, doit dévoiler !
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*Achaachi, Hassouni et Kholti sont trois des agents secrets de la sinistre ‘cellule !!!!!!!!!§§§§§§, responsables d’enlèvements,de torture et de disparitions de centaines de militants politiques et syndicalistes à Rabat.

Ils vont me mettre face vers le sol, m’attacher les pieds, les mains derrière le dos, passer une barre de fer entre les deux et me suspendre à deux poteaux. Le poids de mon corps exerce une traction insupportable sur les épaules, les genoux et, en particulier, sur le milieu du dos. Puis, la férocité des tortionnaires s’abat sur moi !


- « Si tu veux parler, Menebhi, tu lèves le doigt ! » C’est leur ‘consigne’, froide et cruelle, annonçant le début de l’anéantissement barbare de leur proie, de leur prise !


Des coups de cravaches, de nerfs de boeufs ou de chameaux pleuvent sur la plante de mes pieds, sur mes bras, mes fesses, mes flancs…Une douleur indescriptible et insupportable traverse mon corps, envahit ma conscience, s’accapare tous mes sens pour, finalement, s’installer en plein milieu de ma tête. Je deviens comme un brasier de douleur et de souffrance.

- « Parle, religion de ta mère ! Fils de pute ! Salopard ! Parle ou nous te tuerons ! ».
Ils m’insultent, me menacent, me torturent. Je crie. Ils mettent un chiffon trempé dans leurs produits puants et toxiques, sur la bouche et le nez, pour étouffer mes cris et m’empêcher de respirer. Je gémis. Ils tapent de plus en plus fort… La douleur devient insupportable. J’ai l’impression que mes muscles se déchirent, que mon corps se disloque, que je suis au bord de l’asphyxie. Je bouge un doigt. J’ai besoin de respirer. Peut-être pour la dernière fois.

Ils s’arrêtent. L’un d’eux pose son pied au milieu de mon dos et appuie de toutes ses forces… Les autres me crient dessus, hurlent, m’ordonnent de parler…Ils disent qu’ils vont me casser le dos, me briser le corps. Je n’ai rien à dire. Je ne parle pas. Je ne parlerai pas. Ils s’acharnent sur moi, deviennent de plus en plus cruels, de plus en plus brutaux, de plus en plus féroces. Ils se transforment en machine de torture : les cravaches et eux ne paraissent plus faire qu’un. .

Je ne sais pas par quel instinct, quel hasard ou quelle nécessité, mais des images vont apparaître dans mon imagination pour ne plus disparaître, et m’accompagner tout au long de ce calvaire, tout au long de cette descente vers la douleur et la souffrance. Ce sont les images de la résistance héroïque des peuples marocain, vietnamien et palestinien aux atrocités de l’occupation, de la guerre, de la torture et de la répression, à ce qu’ils ont enduré comme martyrs et souffrances, à leur luttes et aux défaites qu’ils ont administrées à leurs ennemis, et surtout à leurs victoires… Et je me dis : « Les hommes, les femmes, les enfants de ces peuples ont affronté pire. Ils ont résisté. Ils ont vaincu. Je dois résister. » C’est le seul choix libre et humain qui me reste. Je m’évanouis quelques minutes plus tard.

Quand je commence à reprendre conscience, je suis debout et tout mouillé. Ils m’attrapent par les aisselles, me font marcher en rond comme une bête pour essayer de me réanimer. Je me souviens encore de la voix de l’un d’entre eux me disant : «Imagine-toi à Bouya Omar*, que nous t’y avons emmené pour te soigner de tes folies. Nous allons te soigner de tes folies, Menebhi. Nous allons te soigner de toutes tes folies… Allez ! Debout, marche ! ». Celui qui parle ainsi est Mohamed Kholti.

Cette première séance de torture est celle dite de « l’avion ». Il y en aura d’autres tout au long de ce séjour infernal, faisant appel à d’autres techniques.
Par exemple la torture dite du « perroquet » : ils m’attachent les poignets, les pieds et ils passent mes jambes entre mes bras. Ils installent ensuite une barre de fer sous les genoux, entre les bras et les jambes. Ils soulèvent la barre et suspendent ses extrémités à deux poteaux. Je suis la tête au sol, les pieds levés vers le plafond : encore une position pour bien frapper les pieds et étouffer la respiration. En plus de la douleur atroce des coups de cravache sur les plantes des pieds, s’ajoute la douleur épouvantable éprouvée à chaque coup, due à l’attraction de la tête vers le sol, ainsi que celle causée par la barre au niveau des mollets, étant donné que tout le corps est porté par là : cela donne cette sensation affreuse et épouvantable que la barre a déjà coupé la peau et les muscles et s’attaque aux péronés ! Impossible de crier : le chiffon mouillé et puant est là pour étouffer les cris, empêcher la respiration et provoquer un début d’asphyxie. Il ne reste plus que le gémissement, comme une bête à qui on a coupé la langue. Puis, quelques instants plus tard, l’évanouissement…

La troisième technique de torture est celle dite du « banc » : ils m’attachent, dos sur un banc, enroulé dans une couverture mouillée, les pieds et la tête dépassant des deux extrémités. Ils soulèvent le banc du côté des pieds, à une hauteur d’environ un mètre, de sorte que ceux-ci soient à la portée de leurs cravaches et que ma tête puisse plonger dans une bassine remplie d’eau et de produits ménagers… Après une dizaine de coups et quelques tasses prises, par la bouche ou le nez, mon corps commence à trembler comme une branche d’arbre sous l’effet d’un vent fort. J’ai l’impression, alors, d’être en train de vomir mon sang et mes tripes, comme si je me vidais de mes entrailles, de ma substance, comme si la vie me quittait… Je n’entends plus ni leurs vociférations, ni leurs cris, ni leurs questions. Je suis déjà ailleurs…

Les séances de torture n’obéissent à aucune logique, à aucune raison. Ils viennent me chercher à toute heure (à 6, 10,14, 20, 22 heures), n’importe quel jour de la semaine (samedi et dimanche compris) et pour n’importe quel sujet. Chaque fois qu’il y a une manifestation, qu’ils arrêtent des étudiants ou des responsables de l’U.N.E.M., qu’il y a une solidarité internationale et des messages de protestations, bref, chaque fois qu’il y a un événement ou une action touchant, de près ou de loin, l’U.N.E.M, j’ai droit à des séances de torture et d’interrogatoire.

Un dimanche matin, sur le coup de 10 heures, les gardiens pénètrent dans ma cellule. Ils sont très excités et agressifs. Leur chef vient lui-même serrer mes menottes et me rajouter un deuxième bandeau sur le premier, crasseux et dégoûtant .Il me murmure à l’oreille que le « chef » est là et qu’il veut me voir !

Ils me conduisent dans un bureau, et me font assoire sur une chaise, avant de quitter la pièce dans un silence implacable et terrifiant. Ils sont quatre à m’attendre. Une fumée de cigarette mentholée empeste l’atmosphère.

Une voix plate rompt le silence avec un mélange de français et d’arabe marocain, teinté d’un accent campagnard qui en affaiblit le caractère. Une voix qui se veut autoritaire.

« Alors, Menebhi, tu commences à t’habituer ? Tu veux une cigarette ? » Je réponds que je ne fume pas de cigarette à filtre, encore moins mentholée, et que je ne peux pas m’habituer à la torture et à l’arbitraire.
Une réplique qui n’est sûrement pas du goût du « chef » et de ces « lieutenants » ! Des chaises bougent autour de moi. L’ambiance tourne vite au vinaigre ! La même voix reprend, plus virulente et agressive :

- « Qui sont les responsables de l’U.N.E.M. à Paris ? Qui représente l’U.N.E.M. au sein de l’U.I.E (Union Internationale des Etudiants) ? Qui assure la coordination avec les C.L.C.R.M (Comités de Lutte Contre la Répression au Maroc)* ? Quels sont vos rapports avec la Libye ? (Khadafi avait en effet envoyé un télégramme de soutien, qui a atterri au siége de l’U.N.E.M. investi par la police politique et assiégé par des C.M.I).

Aucune de ces questions n’a eu de réponse : la quasi-totalité des membres du conseil administratif et du conseil exécutif ayant été arrêtée entre septembre 72 (c’est-à-dire quelques jours après le congrès) et janvier 73, ni moi, ni aucun membre de ces deux conseils n’avons eu le temps de nous occuper de ces problèmes.

- « Alors ! Vas-tu répondre à mes questions, Menebhi, ou je t’envoie là-haut ? On ne va pas laisser les chiens de l’U.N.E.M. en France et dans toute l’Europe salir l’image du pays et de « Sidna »*, perturber le fonctionnement des ambassades et des consulats, insulter les fonctionnaires et les traiter de policiers. Alors, soit tu me donnes les noms de ces salopards, soit c’est toi qui réponds de leurs actes et agissements… Tu es leur président, n’est-ce pas ? Tu les connais, n’est-ce pas?» Il s’adresse à ses acolytes d’une manière ferme et autoritaire : « Au travail ! Je veux les noms de ces salopards. Je veux des noms le plus vite possible. »


Les gifles et les coups de poings jaillissent de tous les côtés, ainsi que les insultes et les menaces. Ils me traînent jusqu’à l’étage au-dessus, me portant à moitié, avec un zèle démesuré que seule la présence d’un « chef » peut expliquer. Par la suite, j’ai su qu’il s’agissait du commissaire Driss Bassri.*

Pendant que les tortionnaires préparent la suspension pour leur sale besogne, je pense que la lutte des étudiants continue, que le mouvement de solidarité international s’amplifie et qu’il faut tenir bon,, ne pas craquer, continuer à résister à leur volonté de me détruire physiquement et moralement, être à la hauteur de la lutte et de la résistance du mouvement étudiant et des militants de l’U.N.E.M. ,ne pas décevoir, assumer pleinement ma responsabilité en tant que militant, ma fonction en tant que président, et que c’est la seule conduite, la seule attitude pour sauvegarder ma dignité, la seule manière de mettre en échec leur intention de m’humilier, de me détruire…
Je ressens comme une répulsion, un dégoût contre ces tortionnaires, au point de me transformer en boule de rage et de colère que rien ne peut éteindre ni apaiser ! Leur séance de torture ne servira à rien, si ce n’est à les enfoncer dans leur faiblesse et leur impuissance, dans leur sentiment de culpabilité, dans leur peau de tortionnaires et de criminels. Ils reviendront bredouille chez leur « chef » : « Menebhi n’a répondu à aucune question. Il n’a donné aucun nom » !

* Du statut du commissaire à Rabat, Driss Bassri est nommé par Hassan 2, en Janvier 1973 à la tête de la ‘ Direction de la Sûreté du Territoire’ (D.S.T), en1975 secrétaire d’état puis ministre de l’intérieur en 1979. Révoqué par Mohamed 6 en 1999.

Trois mois passent dans cette « usine » de tortures et de souffrances totalement coupée du monde extérieur. Chaque jour apporte son lot de nouvelles « prises », de bruits de bottes, de cruautés, de cris et de gémissements. Je ne me soucie plus de mes conditions de détention (deux couvertures pour dormir et se couvrir, une nourriture exécrable, aucune hygiène, pas de soins) ni de l’état de mes pieds, qui se détériore. Je pense beaucoup plus aux conditions de la lutte des étudiants et étudiantes, car j’imagine la férocité de la répression qui s’abat sur eux : les interventions brutales des CRS dans les facultés et les cités U, le nombre de blessés, d’arrestations et d’exclusions des militants de l’université et des chambres universitaires, la suppression des bourses, etc.… Je pressens que la bataille va être rude et inégale et cela m’inquiète. Mais je reste persuadé que la détermination des militants et militantes à défendre leur syndicat sera plus forte que la terreur et la répression. Et cela me réconforte et m’aide à tenir.


La majorité des « résidents » de ’l’immeuble’ est là depuis l’été 1972. Ils résidaient à l’étranger et appartenaient presque tous à la mouvance « Fquih Bassri ».* Ils ont été arrêtés à leur arrivée au Maroc, alors qu’ils venaient y passer des vacances avec leurs enfants. Tous sont des quinquagénaires, ou plus. Ils ont passé la plus grande partie de leur vie à l’étranger (Allemagne, France, Hollande). Par la suite, j’ai appris qu’ils étaient arrêtés par anticipation sur les événements du 3 mars 1973, c’est-à-dire les actions armées à l’est du pays commanditées de l’extérieur par Fquih Bassri. D ailleurs, nous, les Frontistes, pendant les travaux du 15e congrès, soupçonnions l’arrivée « d’un événement spécial » ! Le porte-parole des étudiants de l’USFP (parti socialiste) n’avait pas arrêté, tout au long du congrès, de marteler : « Les nuits ne vont pas tarder à accoucher ! ».
Au moment du coup d’état manqué des pilotes de l’armée de l’air le 16 août, nous pensions qu’il s’agissait de cela. Mais les déclarations de Yazghi (l’actuel premier secrétaire de l’U.S.F.P) à la B.B.C, quelques jours après la fin de notre congrès, nous ont bien convaincus que «les nuits » vont bel et bien accoucher d’un autre « événement spécial », auquel nous n’étions pas du tout préparé : les fameuses actions armées du 3 mars.


Ces événements ont accéléré le transfert de tous les détenus de l’immeuble « des atrocités » à un autre endroit encore plus horrible, plus effrayant et plus dégradant !

Le 3 Avril 1973, à 5 heures du matin, un branle-bas de combat inhabituel nous réveille. L’anarchie et le désordre vont régner le temps de comprendre que nous sommes « invités » à quitter les lieux et à suivre scrupuleusement les ordres, faute de quoi nous serons durement punis. Il faut observer un silence total, ne toucher ni aux menottes ni au bandeau et, surtout, ne pas bouger.

Après avoir serré nos menottes et rajouté un bandeau bien serré sur nos yeux, ils nous embarquent dans des camions militaires, assis par terre et attachés les uns aux autres.
Un silence tombal s’installe vite, non pas par peur de représailles, mais plutôt parce que chacun de nous est occupé à spéculer sur notre nombre et, surtout, sur notre sort ! Peut-être vont-ils nous libérer ? Peut-être qu’ils vont en libérer une vingtaine et que les autres seront déférés devant un juge ? Donc, ensuite, la prison ?
On croyait vraiment qu’on allait « souffler », que le pire était derrière nous, qu’ils ne pouvaient pas nous faire souffrir plus qu’ils l’avaient déjà fait !
Les camions militaires ne l’entendaient pas de cette oreille !
Notre excitation ne va pas durer plus de trois heures pendant lesquelles nous roulons très vite, sommes arrêtés à plusieurs feux rouges, traversons des pistes et des forêts…
Quand les camions arrêtent leur moteur, chacun d’entre nous commence à abandonner ses chimères et ses illusions. Nous comprenons tous que le calvaire n’est pas fini, que le pire est encore devant nous ! Nous pénétrons dans le deuxième jardin secret de Hassan 2.Il s’appel ‘’LE Corbès’’*


La deuxième étape du voyage au bout de l’enfer commence !




Le deuxième jardin secret d’Hassan II


Les gardiens nous intiment l’ordre de descendre des camions. Comme des forçats des bagnes coloniaux qu’on emmène subir leur peine, ils nous font pénétrer, en file indienne, les yeux toujours bandés et les menottes aux poignets, dans un lieu qui ne va pas tarder à révéler sa mission terrifiante et effrayante !

Un gardien « bavard » chuchote dans les oreilles d’un détenu que nous sommes dans l’aéroport de Casa-Anfa.et que cela va durer un bon moment ! Le téléphone arabe fonctionne illico : les rumeurs se répandent !


Un courant d’air froid et fort souffle de tous les côtés. Il soulève beaucoup de poussières et fait claquer les chaînes suspendues et les bouts de ferraille abandonnés. Nous sommes bel et bien dans le grand hall de l’aéroport d’Anfa !


Vers les années vingt, l’armée coloniale française avait fait construire, dans la banlieue de Casablanca, le premier aéroport militaire afin de consolider sa base d’intervention aérienne au Maroc. Dans les années 60, il sera abandonné.


Cet aéroport est constitué d’un hall de plus de 600 mètres de longueur, qui donne sur trois hangars de réparation d’avions d’environ 150 mètres sur 100. La hauteur de l’ensemble fait pas moins de 20 mètres, ce qui explique cette impression d’être dans une gigantesque caisse de résonance. Plusieurs rails le traversent, jusque dans les différentes salles.


Nous ne sommes pas les premiers à débarquer dans ce lieu : toutes les salles sont déjà remplies, chacune de plus ou moins 200 personnes ! Un groupe de femmes avec leurs enfants en bas âge est isolé dans un coin dans le hall exposé au vent, à la poussière et au bruit, ainsi qu’à la surveillance et l’arbitraire des gardiens…


Ceux-ci nous séparent rapidement en trois groupes. Ils nous donnent deux vieilles couvertures de l’Armée française, qui datent des années trente. Puis, ils conduisent chaque groupe vers une salle, après nous avoir rappelé leur seule consigne : « Interdiction de parler, de toucher aux menottes et au bandeau, de bouger sans l’autorisation des gardiens ».


Le fait d’être debout et que mon bandeau soit légèrement desserré, ainsi que ma grande taille –1 m 86 -me permettent de découvrir un spectacle irréel ! C’est apocalyptique. Des grands projecteurs diffusant une lumière faible et jaunâtre illuminent des dizaines de corps inertes, couchés à même le sol, couverts de couvertures militaires, alignés les uns à côté des autres comme des cadavres qu’on aligne au moment du comptage après un tremblement de terre ou des inondations !
C’est une position que nous allons prendre l’habitude d’observer, chaque fois que des nouveaux arrivent ou qu’il y a une visite d’un haut responsable de l’Etat marocain. Nous aurons ainsi les visites des commissaires Youssoufi Kaddour et Hamiani, du directeur général de la police, du préfet de Casablanca, des directeurs de cabinets et des secrétaires d’état des ministères de la Justice et de l’Intérieur, comme Driss Bassri et consorts…

La plupart des détenus sont des militants ou des sympathisants de l’USFP, arrêtés avant ou après le mouvement armé du 3 mars 1973, auquel ils n’ont pas participé, ni de près ni de loin. Ils ont été arrêtés arbitrairement, interrogés et torturés, avant de finir dans « le dépôt », en attendant leur sort ! Les autres (les femmes et leurs petits-enfants, un adolescent et quelques vieillards) ont été arrêtés pour lien familial avec des militants en fuite, afin de faire pression sur ces derniers. Pire encore : la police arrête des familles entières en visite chez d’autres familles qui ont leur fils en fuite, ainsi que des citoyens qui portent le même nom qu’un militant recherché ou un nom ressemblant ! Ils vont passer des mois dans ce lieu de détention secret, dans l’arbitraire et l’illégalité totale…


Il n’y a que deux de mes camarades de l’UNEM : Le vice-président, Abdelwahed Belkebir, et Boudardara Mohamed. Nous sommes répartis dans les trois salles. Dans ce gouffre, on ne se croisera jamais.


Les gardiens sont habillés en civil et armés de fusils-mitrailleurs. Ils viennent tous, ou presque, d’Ain Chiir, le village natal du général Oufkir connu pour sa responsabilité dans le massacre du Rif en 1959, la répression sanglante du soulèvement populaire de mars 1965 et les coups d’état de 71 et 72. Oufkir les a recrutés au début des années 60, pour s’assurer une base fidèle au sein de la toute nouvelle « Compagnie d’Intervention Mobile », spécialisée dans la répression urbaine. Ils sont analphabètes, ignorants, abrutis, cruels et fidèles à leur général et à la monarchie. Il les a formés pour « surveiller et torturer ». C’est à eux qu’il va confier la responsabilité des nombreux lieux de détention secrets : Dar El Mokri, Derb Moulay Chrif, Agdès, Kalâat Mgouna, Tazmammart etc.… (Voir le livre de G.Péreau : Notre ami le Roi)

Paragraphe sur les sanitaires et les maladies
La journée comprend trois temps « forts » : le petit déjeuner, composé d’un semblant de thé avec un peu de pain rassis, (le seul pain de la journée); le déjeuner, en forme d’assiette creuse remplie d’un semblant de jus avec quelques haricots ou pois chiches ; enfin, le dîner, composé d’un bouilli de semoule ou de farine blanche.Le tout est servis dan un couvert en aluminium rappelant les bagnes du 19eme siècle et les camps de concentrations nazies.

Ce menu va durer plusieurs mois. Une grève de la faim de plusieurs jours va permettre d’«améliorer » le ‘menu’: soit un morceau de viande par semaine. Une viande tellement dure qu’il nous est impossible de la mastiquer. On nous explique qu’elle est cuite le moins possible pour qu’il n’y ait pas de perte de volume !
A l’arrivée du mois de Ramadan (le mois de jeûne musulman), ils suppriment un repas. Nous n’avons plus droit qu’à un thé sans sucre et du bouilli à la farine blanche qu’ils nous servent conjointement après le coucher du soleil. A la faim qui tordait nos ventres tout le reste du temps (d’un coucher de soleil à l’autre) s’ajoutait l’ennui mortel des longues journées sans bruit ni mouvement, des longues journées noires peuplées d’hallucinations et de cauchemars.
La mal nutrition, le manque absolu d’hygiène et la promiscuité ont favorisés l’apparition de toutes sortes de maladies (Tuberculose, ulcère, diarrhée, hémorroïdes, maladies de peau et des yeux etc.) et toutes sortes d’insectes et de parasites(poux,ténia…)


La terreur, la brutalité et les mauvais traitements règnent en maître. Pire encore, la torture devient une sorte de jeu sadique, un passe-temps vicieux des gardiens.


Ils sortent les détenus dans le hall et les tapent avec des fils électriques, des fouets en caoutchouc et toutes sortes de bâtons. Ils leur menottent les mains derrière le dos, les obligent à se mettre en position de supplication et de soumission pour les abaisser et les humilier, pour les atteindre au plus profond d’eux-mêmes.
En refusant de me plier à leur volonté perverse et en protestant contre leurs méthodes barbares, j’ai droit à un passage à tabac. Cela se solde par une fracture du nez qui, par manque de soins, s’infecte et nécessite trois interventions chirurgicales au sinus lors de ma sortie de prison, quatre ans plus tard.


Un jour de mois d’avril, les gardiens amènent sur un brancard un citoyen âgé de plus de soixante ans de la région de TInghir (ville au sud du Maroc). La gendarmerie royale le livre « au dépôt » couvert de sang et de traces de torture. Il a les deux pieds broyés, une clavicule et plusieurs côtes cassées et un liquide vert jaunâtre et mousseux coule de sa bouche. Il est dans un état comateux très avancé. Tout le monde le croit mort. Les gardiens refusent de l’envoyer aux urgences ou de lui donner des soins, malgré nos demandes et protestations répétées. Ils nous disent que si nous sommes ici, c’est pour mourir, et pas pour manger ou être soigné ! Il restera des mois dans cet état avant qu’ils viennent le chercher pour l’amener dans un hôpital!Il s’appelle Zaid OU MIDOU ; Un ancien militant de la résistance armée à Casablanca, Zakaria El Abdi, connu sous le pseudonyme de Chahrazade est mort sous nos yeux faute de soin ;Lahcen Chtouki,jeune avocat stagiaire,est mort quelques temps après sa sortie du ‘corbès’ suite à une tuberculose qu’il a contracté pendant son arrestation.
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Le 3à juillet 1973, les gardiens viennent me chercher à 22 heures. Ils m’annoncent que je dois quitter les lieux, sans me fournir aucune précision ! Ils resserrent les menottes et le bandeau, me mettent un sac sur la tête. Au cours de cette détention, le « feeling » des événements à venir s’est renforcé : je comprends que la visite du troisième jardins secrets de Hassan 2, celle du renommé et sinistre Derb Moulay Chrif, m’attend.

J’ai senti mon cœur battre à faire éclater ma poitrine dès mes premiers pas dans ce lieu. C’est la première fois que je vais ressentir la peur depuis que je suis entre les mains de la police

Les premiers lieux de détention et de torture dont j’ai entendu parler dès le début de mon activité militante au collège étaient le «derbe » et « dar el mokri ».Leur histoire était associé à tout les crimes et forfaits perpétués contre les militants depuis l’occupation française jusqu’à nos jours. Ces lieux avaient une telle célébrité noire et notoire qu’ils sont devenus des épouvantails effrayants dans le milieu militant



Le troisième jardin secret d’Hassan II

Dans « le derb », comme on a l’habitude de l’appeler, je ne vois rien, ni n’entends rien. Le silence et le noir règnent en maître dans ce lieu de torture et de terreur par excellence.

Des dizaines de militants marxistes viennent juste d’être expédier à la prison de ‘Ghbila’ à Casa après quelques mois de détention et de torture. J’ai l’impression que les gardiens s’ennuient. Ils sont sur les nerfs ! Ils me surveillent et vérifient mes menottes et mon bandeau en permanence. Leur comportement envers moi est irréfléchi, voir machinal. Je n’ai pas dormi de la nuit.

Le jour même au matin s’ouvre, au nom du Roi, le premier procès des marxistes-léninistes à Casablanca .Il sera connu sous le nom du ’’Procès des Frontistes’’ (En liaison avec le front uni des étudiants progressistes créer à l’université).

Le Président du tribunal déclare : « Mr Menebhi est en fuite, il se soustrait ainsi à la justice de son pays, le tribunal le jugera donc par contumace » ! Il croyait que LE

MENSONGE allait passer comme une lettre à la poste !

Les avocats protestent. Ils affirment et confirment mon arrestation preuves à l’appui : Heure, jour, lieu et témoins. Ils demandent la convocation à la barre des témoins suivants : Le Directeur Général de la sûreté nationale, Le préfet de la ville de Rabat, Le Commissaire Principal du commissariat central de la même ville, qui étaient présent le jour de mon arrestation …Et une dizaine d’étudiants et étudiantes qui ont assisté à mon arrestation (entre autre ma sœur Saida) ou qui étaient arrêté et conduit avec moi au commissariat.

Le tribunal de façade ne pouvant décider à la place du vrais, installait, lui, en sous sol et formé des chefs de la police politique (Bassri, Youssfi Kaddour, Hamiani et consorts) qui tenaient Hassan 2 informé des moindres détails du procès. Le Président du premier, Afazaz* décidât de suspendre la séance en attendant les ordres !


Le lendemain matin, avant même le petit déjeuner, les gardiens viennent me chercher pour me conduire dans les bureaux, lieux d’interrogatoires et de tortures où je vais passer trois jours de torture et de brutalité entre les mains des commissaires YOUSSFI KADDOUR, HAMYANI et leur premier bras droit El Bettache, surnommé El fassi à cause de son accent de Fès.

Le Q.G du ‘Derb’ n’a pas assez de temps pour accomplir sa salle besogne comme il en a l’habitude. Le procès est suspendu, les avocats et les familles protestent et l’opinion nationale et surtout internationale fait pression pour que le procès soit équitable et que les droits de la défense soient respectés (Le Président du tribunal n’a pas permis aux avocats français de prendre part aux plaidoiries. Maîtres H. Le Claire et J.YBaudlau se sont vu confiné dans un statut d’observateurs …et invité à observer le silence total pendant les séances du procès !!!) Il fallait donc me ‘traiter’ le plus vite possible et m’expédier devant le tribunal avec un procès verbal (ou des aveux) en ‘béton’ !

Youssfi Kaddour ne va pas passer par quatre chemins. Il ‘rentre dans le vif du sujet’, avec un ton de chef, glacial, sur de lui est méprisant :

-«Ecoute moi bien Menebhi : nous n’avons pas le temps de jouer à cache-cache ici. Ou tu vas tout nous dire, après quoi tu iras rejoindre ton groupe que nous venant d’envoyer devant le tribunal, ou tu vas rester ici jusqu à ce que ta chaire séchera sur tes os. »

Hamyani lui emboîte le pas, comme pour augmenter la pression. IL soutien les propos du patron du ‘ derb’ :
-« Tous sont sortis d’ici parce qu’ils nous ont dit la vérité. Alors, si tu veux aller les rejoindre, tu nous dis tous ce que nous voulons savoir sur tes activités au sein de votre organisation, sinon, tu ne verras plus jamais dehors et tu pourriras ici, exactement comme a dit le chef. »

Et, comme dit le dicton français : « jamais deux sans trois ».Les rôles étaient bien distribués et appris par cœur. Mais mal joués : Les bourreaux ne peuvent jamais être que des bourreaux: Ils engendrent la mort et génèrent le drame.

El Fassi, qui ne va même pas laisser Hamyani finir sa phrase, va, lui aussi rajouter son petit grain de sel :

-« Ils (c .a. d. le groupe de détenus) sont bien en prison. Ils sont regroupés et il mangent et dorment mieux qu’ici. Si tu veux les rejoindre, tu réponds en vitesse à nos questions et je te promets que je t’emmènerais demain matin à « Ghbila ». Le chef est là pour confirmer mon propos. Sinon tu resteras ici mourir de chagrin et de solitude ».

Et rebelote : les mêmes questions vagues, les mêmes menaces, la même volonté de « casser » le militant qu’à l’ « immeuble » ! Je me suis dis : « Ils n’ont rien à me raconter de ‘mieux’ que leurs prédécesseurs, et quel q’elles soient mes réponses les tortionnaires torturerons. Ils sont dressés pour cela. Alors j’opte pour le silence et advienne que pourra !

La réaction de Youssfi Kaddour ne se fait pas attendre :

-« Tu fais le gros dos, fils de pute. Dehors tu veux renverser le régime et installer une république et ici tu fais la chèvre ! On va couper ton zob et ne te laisser qu’un petit trou pour pisser et te faire asseoir sur une bouteille jusqu à ce qu’on déchire ton anus… »

-« Vous aimez ça vous, les militants de merde, vous aimez qu’on vous torture au lieu de nous dire la vérité…C’est la vérité qui nous intéressent. On s’en fou de ce que vous pensez ou de ce que vous faites, ce que nous voulons est précisément savoir tout cela. C’est notre travail, ça, et nous le ferons que cela soit en monarchie ou en république, car on a toujours besoin de nous quel que soit le régime» !

Youssfi Kaddour va couper cour à ce genre de ‘conversation’. Il décide « de passer aux choses sérieuses » et ordonne à un de ses acolytes de « suspendre la religion de ma mère », après quoi il s’adresse à moi :

« On va te faire goûter un peu de notre ‘’savoir faire’’ ici même, et si ce n’est pas suffisant on t’amènera faire une petite visite à nos laboratoires.

La torture va aussitôt démarrer : Les mêmes techniques, les mêmes questions et la même sauvagerie qu’à l’immeuble des atrocités. Deux jours de suite pendant lesquels j’ai subis les tortures dites de ‘l’avion ‘ et du ‘perroquet’ et, à la fin de chaque séance les gardiens me ramenaient dans la cellule, tout tremblant, porté à moitié inconscient dans une couverture plaine de taches de sang et des croûtes de chaire humaine, puant un écœurant mélange de produits toxiques, de sueur et de pisse.

Le troisième jour, tôt le matin, les gardiens me conduisent dans une nouvelle salle. Les bourreaux passent leur menace à exécution : Il s’agit du fameux ‘laboratoire’ dont ils ont parlé le premier jour. Une salle tellement froide et puant de l’éther que j’ai l’impression d’être dans une morgue ou dans un laboratoire !

Ils me laissent seul, assis sur une chaise ! J’entend le bruit de pas dans le couloir et des échanges de conversations grossières et menaçantes mêlées à mon nom ! L’attente ‘programmée’ dure une éternité. Je passe en revue tous les scénarios ‘possibles et imaginaires’ qui peuvent m’arriver. Le froid pénètre mon corps qui commence à frissonner. J’essaie avec toutes mes forces d’arrêter de trembloter mais cela ne fait qu’augmenter mon stress et le raidissement de mon corps.

Les trois bourreaux rentrent dans la salle. Ils l’a traversent en long et en large plusieurs fois et finissent par m’encercler .Youssfi Kaddour froisse des feuilles entre ses mains et s’adresse à moi, toujours avec son air grave et menaçant :

« C’est le procès verbale (P V) de l’interrogatoire que tu dois signer, Menebhi, et tout de suite! Nous avons perdu beaucoup de temps avec toi et cela suffit ! ».

Il me met un stylo entre les doigts et oriente ma main vers les papiers qu’il tient avec son autre main. Le stylo tombe par terre, il le ramasse pour le remettre entre mes doigts. Je le lâche à nouveau. Il me secoue violemment en poussant un cri de rage et de désespoir comme s’il vient de perdre une bataille ! Le silence s’installe quelques fragments de seconde ! Ils ont compris que je ne vais pas signer .Ils ont déjà ‘vécu’ cela avec d’autres !

Hamiani, comme pour sauver la face de son chef, revient aux menaces et aux insultes :
« Tu ne veux pas signer fils de putte ? Hé bien tu verras ce qu’on va faire à la religion de ta mère…Salopard…P .d…tête de cochon …. ». Et il ordonne à El Fassi d’aller chercher l’abeille.


L’’abeille’ est un instrument électrique artisanal fabriqué par ‘les techniciens’ tortionnaires de Hassan 2 (Il ressemble à un fer à friser) qui émet, dès qu’on le branche, un bruit strident qui ressemble, en un peu plus fort à celui de l’abeille.

Toujours assis sur une chaise, j’entends ‘l’abeille’ qui s’approche de mes oreilles, qui tourne autour de mon corps, s’éloigne et s’approche. Ils ont fait durer leur cirque quelques dizaines de secondes, espérant sûrement un signe de peur ou de faiblesse leur permettant d’attaquer vite et fort.

Mon silence perdure mais je parlais à moi-même à une vitesse de l’éclaire,comme si je voulais gagner du temps sur le leur, prévoir et imaginer l’effet de la torture à l’électricité pour être en mesure de faire face à leur volonté cruelle et destructrice,les mettre en défis en leur faisant sentir et comprendre(si jamais ils ont encore quelques fragments de ces facultés) qu’ils ne sont que des tortionnaires, qu’il peuvent faire ce qu’ils veulent de mon corps, mais qu’ils n’atteindrons jamais mon esprit, ma détermination à résister.!Je crois que je ne me suis jamais senti aussi profondément humain et aussi proche des valeurs humaines fondamentales qu’à cet instant même. Je m’en suis senti tellement proche qu’il y a eu une sorte de symbiose avec ses valeurs : Je suis moi- même, entier, total et indivisible. Il n’y a plus de place dans ma tête pour des sentiments de gêne, d’infériorité ou de culpabilité vis-à-vis de mes tortionnaires. Je me suis senti libre et fort. Les tortionnaires, personnages non humains ne m’atteindrons pas ! C’est eux les criminels.

- « Nous allons faire chier la salope de ta mère jusqu’à ce que tu te noies dans ta merde et après te pisser dessus pour te rincer ta langue qui parle plus ! » a dit le premier.

- « Dehors tu est comme un lion et ici tu fais le dos rond, fils de pute, pédé, tête de mule. Tu verras que tu ne vas pas garder le silence plus longtemps que cela, et que tu vas sonner comme un réveille… » dit le deuxième…

Un coup de pied très fort dans la chaise et je me suis trouvé par terre. Ils me déshabille assez facilement et me mettent le pistolet sur le dos. Je suis secoué. Le choc électrique est tellement fort que mon corps s’est déplacé involontairement de plus d’un mettre. Leurs pieds m’ont vite remis à ma place initiale. Je ne distingue plus les voix de mes détracteurs. Toutes se ressemblent, ou ressemblent plutôt toutes à la voix d’un et même animal.

Je sens le pistolet me coller sous le menton. Mes mâchoires claquent si fort que je me suis coupé la langue .Le sang coule de ma bouche. Il a un goût de métal.

Ils m’ont mis le pistolet sur mon appareil génital, dans mes narines, dans mes oreilles, entre les cuisses et sur les plantes de mes pieds. Ils le déplacent sur tout mon corps, à leurs guises et caprices. Je suis mortifié, galvanisé Je ne suis plus rien que douleur et souffrance. Je crie, je pleure, je transpire et je pisse. Je ne comprends plus ce qu’ils disent ni ce qu’ils veulent ! Eux n’en plus. Ils torturent pour torturer !

Le supplice s’arrête. J’entends une voix, comme venir de très loin tonner l’ordre suivant : « Ramenez la merde à là oû vous l’avez cherché » .C’est la voix de Youssfi Kaddour. Ils ont compris que leur idée de me faire signer un ‘ chèque à blanc’ est ‘injouable’, donc irréalisable.

Les gardiens me portent Jusque ma cellule. Je suis raide ! Je tombe dans un sommeil profond ! Quelques heures plu tard, ils viennent me réveiller pour me ramener au ‘corbès’. Autant le départ à ‘derbe Moulay chérif’ était pour moi une source de frayeur et d’angoisse, autant le retour au ‘corbès’ m’apaisait ! C’est dur d’être seul et isolé, encore plus entre les mains de tortionnaires et de fossoyeurs et dans un lieu où tout peut arriver dans le secret et l’ignorance totale de tous. Le fait de savoir que je revenais vivant me réjouissait ! Je me sentais à nouveau comme un être humain.

Le 3 Août, le tribunal du Roi reprend ses travaux en dépit de tous ! Le ‘président’ déclare :

« Après trois jours de recherche infructueuse, la police judiciaire déclare Mr Menebhi en fuite. Il sera donc jugé par contumace en application aux articles de la loi ( ?!) en vigueur. »

Au nom de la justice du Roi, le mensonge devient loi : Je suis jugé par contumace à « perpétuité assorti de la perte de tout mes droits civiques » ?!


Le 12 Février 1974 au matin, 6 mois après cette mascarade de procès*, et 13 mois après mon arrestation, je me retrouve, en compagnie de mes deux camarades de l’U.N.E.M, Bouderdara et Belkébir dans l’enceinte de la fameuse prison civile de Casablanca, surnommée ‘’Ghbila’’ (La petit jungle).

Nous ne sommes passés devant aucune instance judiciaire pour nous signifier notre incarcération. Ni Notre avocat, Mr Abderrahime Berrad , ni nos familles n’ont été informé. Seule La Direction Générale des Prisons était au courant !
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2ème partie


Dans les prisons du Roi


‘’Ghbila’’ ou la petite jungle.

Le fourgon de la police secrète pénètre l’enceinte de la dite prison. Les gardiens nous enlèvent les menottes, nous font descendre du fourgon et nous livrent en main ‘’propre’’ à nos nouveaux gardiens : ceux de la prison.

Ceux-ci, après avoir attendu la disparition des premiers ( ?!) nous enlèvent les bandeaux. Nous sommes tous les trois vivants, debout, face à face. On ne croyait pas nos yeux !

A peine eu le temps, Boudardara, Belkebir et moi de nous embrasser et laisser échapper quelques manifestations de joie (malgré la peur et le doute qui nous habitaient encore) que les geôliers nous séparent.

Je suis conduis à une cellule vide, dans le quartier dit ’’moderne ou quartier Européen’’. C’est le quartier des Français pendant la colonisation que le pouvoir néo-colonial a réservé aux détenus politiques Marocains. Du fait, il est devenu le quartier de l’isolement. Deux gardiens, Bouchama et houssine, sous l’œil attentif de leur chef Sebbane me déshabillent et pratiquent une fouille systématique sur tout mon corps : Mes cheveux, mes oreilles, ma bouche, sous mes aisselles, mon appareil génitale, entre mes fesses et mes orteils. Bref, une fouille digne des geôles du Roi.

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La cellule est très sombre et fait plus ou moins 2,5m sur 3m. Les mures, d’une épaisseur de 50 cm sont crasseux et humides. Un w.c, avec une chasse d’eau assourdissante qui fonctionne en permanence en occupe un bon coin. Une petite lucarne au plafond servant à éclairer la cellule juste pour permettre aux gardiens de bien surveiller le prisonnier à travers une visionneuse à glissière installée au milieu de l’épaisse porte de la cellule.

Ils me lancent trois vieilles couvertures et quittent la cellule en la fermant avec un bruit
fracassant on tapant fort et plusieurs fois avec leur grosse clé sur le fermoir. Ils remplacent le bandeau et les menottes par les mures carcérales !


Une semaine dans cette situation, avec trois couvertures et un menu identiques à ceux du ‘corbès’.C’est donc les prisons du Roi qui fournissent les lieux de détentions secrètes de Hassan 2 !

Aucune nouvelle de mes deux camarades, aucune nouvelle de l’extérieur. ‘Silence radio’ de la part des gardiens qui refusent de répondre à mes questions et répètent à chaque fois que je leur en pose une : « Ma frassna walou ». (Ce qui veux dire textuellement « Nous n’avons rien dans la tête » !)

Après plusieurs réclamations, j’ai eu droit au crâne tondu (la seul ‘coupe’ permise) et à une douche ainsi qu’à une tenue de prison.

Un matin, deux geôliers viennent m’annoncer que j’ai une visite. Ils me fouillent avant de me conduire dans une petite pièce (plus petite que ma cellule !) avec une table et deux chaises.

A ma grande surprise, je vois mon avocat, Me Abderrahim Berrada dans une colère indescriptible : Il protestait contre l’attente injustifiée de presque une heure pour me présenter à lui ! Il vient vers moi, me fait une grande accolade en me disant qu’il a failli partir sans me rencontrer, qu’il s’est déjà présenté il y a deux jours et qu’il a attendu une heure sans résultat! Que le juge ne l’a pas informé de mon arrivée en prison et qu’il a eu l’information par pur hasard ! Que malgré ses protestations auprès du procureur du Roi et de la direction de la prison, l’entrave à l’exercice des droits de la défense continue.

Cette atteinte grave durera des années entières. Pies encore, Me A. Berrada sera l’objet de menaces, de pressions et de harcèlements de la part du parquet, de la direction des prisons et de la police politique. Il sera accusé (tenez-vous bien) « de complot contre le Maroc avec la complicité d’AMNESTIE INTERNATIONALE »! Il sera surveillé en permanence, ainsi que sa famille, son domicile et son cabinet et sera interdit de passeport pendant presque vingt ans.

Le peu de temps que nous sommes resté ensemble est consacré à énumérer l’arbitraire et les atteintes graves qu’a connu mon « dossier » depuis mon arrestation (le jugement par contumace, l’incarcération sans mandat judiciaire et sans informer les avocats et la famille etc.), atteintes qui continuent au sein de la prison avec l’isolement et les tracas et obstacles causés à ma famille pour le droit de visite.

Au retour à la cellule, j’ai subi une nouvelle fouille, encore plus stricte et minutieuse que la précédente ! Ils soupçonne mon avocat de m’avoir passer un papier ( ?!).



Le sort réservé aux autres avocats (Abderrahman et Bahia)
Les « promenades »
La douche
Les soins
Le parloir
La torture en prison
Les grèves de la faim
Les fouilles
La visite du préfet de Casa ( El alaoui) et du dirécteur G des prisons
Le transfert à Ain borja
La torture et le directeur
L’arrestation de Saida
Le procès
La sortie de la prison




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